Les troubles anormaux de voisinage sont des dommages causés à un voisin par une personne ou par les choses ou les animaux qu’elle a sous sa garde. De tels dommages sont considérés comme anormaux dès lors qu’ils excèdent les inconvénients ordinaires du voisinage. Les troubles anormaux de voisinage obligent leur auteur à dédommager la victime, même lorsqu’ils découlent de l’exercice d’une activité licite.
En effet, si les troubles anormaux de voisinage étaient initialement résolus sur le fondement de l’abus de droit de propriété (Cour de cassation, Chambre des requêtes, 3 août 1915 Cocquerel c/ Clément-Bayard), les troubles anormaux de voisinage constituent désormais un régime de responsabilité particulier instauré par les juges. La Cour de cassation a ainsi explicitement indiqué que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (Cour de cassation, 2èmeChambre civile, 19 novembre 1986). Ce principe fera ensuite figure de référence pour la Cour de cassation (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 4 juin 2013). Par la suite, la jurisprudence a pu préciser que « nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage », soulignant ainsi qu’il existe également des inconvénients normaux inhérents au voisinage (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 11 avril 2019).
La frontière entre les troubles anormaux de voisinage et les inconvénients normaux de voisinage est cependant difficile à délimiter, les juges étant souverains pour décider de qualifier des nuisances de troubles anormaux de voisinage. En ce sens, les circonstances pouvant conduire les juges à retenir l’existence de troubles anormaux de voisinage sont extrêmement variées. Le régime des troubles anormaux de voisinage peut ainsi être appliqué lorsqu’une importante enseigne lumineuse multicolore trouble la jouissance d’un immeuble par la lumière qu’elle y projette et les parasites qu’elle provoque dans la réception des émissions de radio et de télévision (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 9 novembre 1976). La Cour de cassation a même eu l’occasion de considérer que des bruits de pas, d’aspirateur, de déplacement ou de chocs d’objets sur le sol, dont l’importance a été préalablement constatée par constat d’huissier, peuvent être constitutifs de troubles anormaux de voisinage (Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 3 janvier 1969).
L’anormalité du trouble de voisinage peut se déduire non seulement de sa gravité, mais également de sa répétition dans le temps, les juges ayant pu considérer que certains troubles excédaient les inconvénients normaux de voisinage eu égard à leur durée (Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 5 février 2004).
En outre, le fait que la jurisprudence ait consacré le régime des troubles anormaux de voisinage sans faire référence aux articles 544, 1240 et suivants du code civil permet au juge de caractériser l’existence d’un trouble anormal de voisinage sans avoir à rechercher une faute (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 12 février 1992). En revanche, le trouble anormal de voisinage ne peut être caractérisé s’il n’y a pas de dommage (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 29 janvier 1992).
Malgré son origine jurisprudentielle, le régime des troubles anormaux de voisinage fait actuellement l’objet de projets visant à intégrer les troubles anormaux de voisinage dans le code civil.
Le projet de réforme de la responsabilité civile présenté le 13 mars 2017 par Jean-Jacques Urvoas, alors garde des sceaux, propose ainsi d’intégrer au code civil une sous-section 3 consacrée aux troubles anormaux de voisinage et un article 1244 selon lequel celui « qui provoque un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, répond de plein droit du dommage résultant de ce trouble ».
Cette suggestion est également présente dans la proposition de loi n°678 portant réforme de la responsabilité civileenregistrée à la Présidence du Sénat le 29 juillet 2020.
En ce qui concerne la prescription de l’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage, la jurisprudence a récemment considéré que l’action en responsabilité fondée sur un trouble anormal du voisinage constitue une action en responsabilité civile extra-contractuelle et non une action réelle immobilière. L’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage est donc soumise à une prescription de cinq ans (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 16 janvier 2020).
L’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage nécessite des connaissances juridiques approfondies. Prenez contact avec votre avocat avant d’y procéder.
Le demandeur à l’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage doit satisfaire aux conditions relatives à l’action en responsabilité classique. Une personne ne peut donc avoir qualité pour agir que si elle est en mesure de se prévaloir de l’existence d’un dommage personnel et direct.
En outre, le demandeur devant avoir intérêt et qualité à agir, il doit exister une relation de voisinage entre le demandeur et le défendeur. Cette notion de relation de voisinage a été délimitée par la jurisprudence, les juges considérant qu’il est d’abord nécessaire qu’il y ait une proximité entre le demandeur et l’origine du trouble. Les juges ont ensuite considéré que la relation de voisinage n’implique pas forcément la qualité de propriétaire. Tous les occupants d’un immeuble en copropriété sont donc concernés par le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage (Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 17 mars 2005). De la même manière, il n’est pas nécessaire que le propriétaire occupe le fonds pour être qualifié de voisin. La jurisprudence a ainsi indiqué que même un propriétaire ne résidant pas sur son fonds est recevable à demander qu’il soit mis fin aux troubles anormaux de voisinage provenant d’un fonds voisin (Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 28 juin 1995).
Toutefois, aucune action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage ne peut être intentée si elle n’a pas été précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, dès lors que l’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou qu’elle concerne l’une des actions visées par les articles R.211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire, lesquels renvoient à des actes tels que l’élagage d’arbres ou de haies. Les parties ne peuvent être dispensées de l’obligation de conciliation préalable que si au moins l’une d’entre elles sollicite l’homologation d’un accord, que l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ou que le juge ou l’autorité administrative doit procéder à une tentative préalable de conciliation en application d’une disposition particulière. Les parties peuvent enfin être dispensées de l’obligation de conciliation préalable s’il existe un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste, soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une tentative de cette nature ou impliquant la prise d’une décision rendue non contradictoirement, soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige (code de procédure civile, article 750-1).
N’hésitez pas à prendre contact avec votre avocat pour en savoir plus sur le demandeur à l’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage.
Le défendeur à l’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage peut d’abord être l’auteur des troubles. Le locataire ou même l’occupant d’un logement à titre gratuit peuvent donc se trouver visés par une action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage au même titre que le propriétaire du logement. Le propriétaire bailleur est cependant responsable du fait de son locataire (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 17 avril 1996). Dans cette hypothèse, le propriétaire dispose d’un recours contre son locataire lorsque les nuisances résultent d’un abus de jouissance ou d’un manquement aux obligations nées du bail (Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 8 juillet 1987).
L’auteur des troubles anormaux de voisinage peut également être l’entrepreneur dont l’activité qu’il exerce sur un fonds a généré un trouble. De la même manière que pour le propriétaire bailleur et le locataire, le maître de l’ouvrage est responsable du fait de l’intervention de l’entrepreneur de travaux (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 4 février 1971). Le maître de l’ouvrage n’est pas dénué de toute protection puisqu’il peut, lorsqu’il est condamné pour avoir réalisé des travaux ayant causé à autrui un trouble anormal de voisinage et contre lequel n’est établie ni immixtion fautive ni acceptation délibérée des risques, être subrogé dans les droits de la victime après le paiement de l’indemnité. Ce faisant, le maître de l’ouvrage peut exercer un recours contre les constructeurs à l’origine des troubles anormaux de voisinage et obtenir leur garantie intégrale, et ce sans avoir à prouver la faute de ces constructeurs (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 2 juin 2015).
Quant aux entrepreneurs, ils bénéficient également de la possibilité d’exercer des recours entre eux. L’entrepreneur principal peut ainsi exercer un recours subrogatoire contre les sous-traitants pour la fraction de la dette dont il ne doit pas assumer la charge définitive (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 26 avril 2006).
Votre avocat peut vous apporter des renseignements complémentaires sur le défendeur à l’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage.
L’allocation de dommages-intérêts constitue le mode de réparation le plus utilisé par les juges (Guy Courtieu et Gaëtan Guerlin, « Hypothèses particulières de responsabilité : abus de droit et troubles de voisinage », Jurisclasseur Responsabilité civile et Assurances, 14 septembre 2020). Ces indemnités ont vocation à faire office de compensation des préjudices résultant des troubles anormaux de voisinage. Les préjudices admis peuvent être de natures très différentes, allant de la baisse de production d’une exploitation agricole à la perte de loyers, en passant par la réduction du chiffre d’affaires (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 22 juin 2005).
Outre l’octroi de dommages-intérêts, l’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage peut conduire à ce que soit ordonnée la cessation de ces troubles. Le président du tribunal de grande instance (TGI) peut ainsi prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, et ce même en présence d’une contestation sérieuse. Cette prescription en référé peut viser à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un trouble manifestement illicite (code de procédure civile, article 809).
Le juge judiciaire ne peut cependant condamner un propriétaire à démolir sa construction lorsque celle-ci a été édifiée conformément à un permis de construire, et ce en raison de la méconnaissance du juge judiciaire des règles d’urbanisme et des servitudes d’utilité publique. Une telle condamnation ne peut être effectuée par un tribunal de l’ordre judiciaire que si le permis en question a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et si la construction est située dans l’une des zones indiquées par le code de l’urbanisme. Ces zones sont par exemple les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, les espaces terrestres et marins, les sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques, les cœurs des parcs nationaux ou encore les réserves naturelles (code de l’urbanisme, article L.480-13).
Demandez conseil à votre avocat si vous souhaitez en savoir plus sur l’allocation de dommages-intérêts ou la cessation des troubles anormaux de voisinage.
La première cause d’exonération de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage est la préoccupation. En ce sens, certaines nuisances n’entraînent pas droit à réparation dès lors qu’elles ont commencé antérieurement à la demande de permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances ou à l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail. Toutefois, sont uniquement concernées les nuisances relatives à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques. La jurisprudence veille d’ailleurs à ne pas étendre la préoccupation à d’autres activités (Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 8 juillet 1992). De plus, il faut que les activités à l’origine des nuisances s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, et qu’elles se soient poursuivies dans les mêmes conditions (code de la construction et de l’habitation, article L.112-16). Une augmentation ou une transformation des nuisances peuvent donc conduire les juridictions à retenir la responsabilité de l’auteur de ces nuisances (Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 7 novembre 1990).
L’auteur d’un dommage ayant entraîné des troubles anormaux de voisinage peut également se voir exonéré de sa responsabilité en raison de la faute de la victime. En outre, la victime ayant commis un comportement fautif peut voir son indemnisation réduite en raison de ce comportement. La faute de la victime peut aussi conduire les juges à opter pour un partage de responsabilité (Cour de cassation, 3ème Cambre civile, 20 mai 1998).
Votre avocat peut vous apporter des éclaircissements sur les différentes causes d’exonération de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage.