La clause de garantie des pertes d’exploitation des contrats d’assurance est au centre de toutes les attentions depuis les mesures de fermeture administrative liées à l’état d’urgence sanitaire.
Le cabinet de Maître Julien Ayoun, avocat au Barreau de Marseille et membre du réseau Provence Avocats, vous fait un état des lieux précis pour démêler les mythes et les réalités sur les indemnisations au titre des garanties pertes d'exploitation prévues par les contrats d’assurance.
En effet, les restaurateurs, entrepreneurs, indépendants, « commerces non essentiels » (selon l’expression consacrée) ont été frappés de plein fouet par la crise sanitaire le 14 mars 2020, lorsqu’est paru au Journal Officiel l’un des premiers et nombreux textes adoptés pour endiguer la propagation du virus covid-19.
L’arrêté du Ministère des Solidarités et de la Santé du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 (JORF n°0064, 15 mars 2020, texte n° 16) dressait en effet une liste des établissements ne pouvant plus accueillir du public. Parmi ceux-ci les centres commerciaux, les hôtels, restaurants et débits de boissons et les lieux culturels tels que les bibliothèques, les cinémas ou les musées.
Aujourd’hui encore, certains établissements, en particulier les restaurants, débits de boissons, n’ont toujours pas réouvert au public (Art. 10, Décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ; JORF, n°0116, 12 mai 2020, texte n° 6).
Pendant plus de deux mois, divers établissements ont subi des pertes de chiffre d’affaires sans précédent, et souvent des pertes inestimables. Certains secteurs comme le tourisme et la restauration sont sinistrés. Certains ont trouvé leur pis-aller dans la vente ou le service à emporter ou à domicile, mais cela est rarement suffisant… Les pertes d’exploitation sont malheureusement souvent supérieures pour ces entrepreneurs qui ont du assumer plus de charges qu’ils n’ont perçu de recettes pendant la crise sanitaire.
Quant à ceux qui pouvaient continuer leur activité, ils n’ont pas été logés à meilleure enseigne, puisque le confinement général a fortement freiné l’activité économique. Et en effet, depuis quelques semaines, les dépôts de bilan de grandes entreprises - et surtout de moins grandes - se multiplient de manière exponentielle.
Toutes ces entreprises ont notamment un point commun, elles ont souscrit une assurance multi-risques professionnelle afin de couvrir tous types de risques. Tout type de risques ? Même les pertes de revenus, conséquence directe et imprévisible des mesures prises par le gouvernement afin de lutter contre la propagation de l’épidémie ?
Les compagnies d’assurance affirmaient que non, car la couverture d’un tel risque aurait été contraire à leur modèle économique. Pourtant, la situation est bien plus complexe qu’il n’y paraît car les contrats qu’elles ont conclus avec les assurés affirment parfois clairement le contraire.
Tous les regards se tournent donc sur la désormais fameuse garantie pertes d’exploitation depuis que le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a rendu une retentissante décision de justice condamnant la société AXA à verser une provision de 45.000,00 euros à un restaurateur au titre de l’indemnisation du préjudice constitué par les pertes d’exploitation résultant de la fermeture administrative (T. com. Paris, Ordonnance, 22 mai 2020, RG n°2020017022).
Un tour d’horizon des clauses de garantie pertes d’exploitation s’impose car tous les contrats ne sont malheureusement pas éligibles à une indemnisation. Il convient donc d’analyser méticuleusement les conditions particulières et les conditions générales du contrat d’assurance.
L’offre de garantie pertes d’exploitation est très diversifiée tant et si bien qu’aucune compagnie d’assurance ne propose le même contrat. Afin d’exposer le concept de cette garantie, on peut tout simplement retenir que la garantie pertes d’exploitation a le plus souvent pour objet d’indemniser l’entreprise des pertes financières subies suite à un sinistre.
Dans le capharnaüm des clauses de garantie pertes d’exploitation, il s’agit donc de trier le bon grain de l’ivraie. La tâche est toutefois ardue, dans la mesure où plusieurs versions du même contrat existent au sein de la même compagnie d’assurance, souvent sur l’initiative de certains courtiers et à destination d’un groupe professionnel précis. On constate encore parfois des clauses particulières qui contredisent totalement les conditions générales. Il est donc nécessaire d’étudier tous les contrats !
La vérification du contrat peut se faire en plusieurs étapes :
Pour mettre en œuvre une telle garantie pertes d’exploitation, une grande majorité des contrats d’assurance conclus exige qu’intervienne un dommage matériel (incendie, dégâts des eaux, bris de machine, catastrophe naturelle). Aussi, les entrepreneurs qui ont vu leur activité ralentie ou stoppée nette ne sont pas concernés ab initio par ces garanties.
Une précision doit être apportée au sujet de l’état de catastrophe naturelle. À ce jour, la crise sanitaire et la pandémie que nous avons connus n’a pas été décrétée comme un état de catastrophe naturelle. Surtout, quand bien même un état de catastrophe naturelle serait reconnu, la loi elle même indique que « sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises » (article L. 125-1 al. 3 du Code des assurances).
Toutefois, une partie non négligeable des contrats d’assurance n’impose pas la survenance d’un dommage matériel pour préalable à la mise en œuvre d’une garantie pertes d’exploitation, et vise même expressément le risque de fermeture totale ou partielle de l’établissement décidée par une autorité administrative ou judiciaire.
Cela conduit bien entendu à s’interroger sur la notion de « fermeture administrative », à supposer qu’il s’agisse d’une notion bien définie, car elle est souvent employée telle quelle dans les contrats. Sur ce point, on constatera que la décision rendue par le tribunal commerce de Paris le 22 mai 2020, a assimilé l’interdiction d’accueil au public à une fermeture administrative. Le gouvernement a d’ailleurs lui-même procédé à une telle assimilation lors de ses différentes interventions.
Une fois identifié l’un des contrats pré-éligibles à une indemnisation, il s’agit encore de vérifier qu’aucune exclusion de garantie ne s’oppose à cette indemnisation. Si aucune clause d’exclusion n’est prévue, et que la garantie pertes d’exploitation souscrite concerne bien une fermeture administrative totale ou partielle de l’établissement, une indemnisation est en principe possible.
Seulement des clauses d’exclusion sont la plupart du temps prévues au contrat.
Celles-ci sont parfois très explicites. On peut notamment prendre pour exemple les conditions générales d’un contrat d’assurance proposé par le Crédit Agricole qui prévoit une exclusion expresse formulée en ces termes : « Ce que nous ne garantissons pas : Les pertes d’exploitation qui résulteraient d’une interdiction d’accès liée à une maladie contagieuse. ».
Dans le même sens, MMA indique dans sa clause « Ce qui est exclu », que sont exclus les « pertes d’exploitation résultant : (…) d’une mesure émanant des autorités administratives ou judiciaires : (…) prise en raison de risques de contamination d’épidémie, d’épizootie ou de pandémie ». Les exclusions ont le mérite d’être précises. Fort heureusement, les deux entreprises ont annoncé qu’elles accorderaient des gestes commerciaux à leurs assurées alors même que le risque est expressément exclu.
D’autres contrats présentent des clauses d’exclusion de garantie bien moins claires à ce sujet. Dans ces cas, l’interprétation du contrat s’avère houleuse. Or, le doute est censé profiter à l’assuré !
Par exemple, dans l’un de ses contrats, la compagnie d’assurance AXA garantit la « fermeture provisoire totale ou partielle » de l'établissement lorsque deux conditions sont réunies : « - la décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même - la décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication. ». Cependant, une exclusion est prévue en ces termes : « sont exclues les pertes d'exploitations, lorsque à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique. »
À première lecture, on croit comprendre une telle clause. Mais à la relecture, son contenu se révèle chaque fois plus obscur. On croit comprendre l’intention de l’assureur, celle de limiter la garantie à des risques individuels … sans toutefois en être sûr.
Or, la clause est de toute évidence particulièrement mal rédigée. Pour le démontrer nous pouvons prendre un exemple tiré hors du contexte épidémique. Pour cela imaginons une fermeture prise suite à un meurtre, conformément au contrat, et relisons la clause d’exclusion… Il faut donc comprendre que si à la date de fermeture, un meurtre a eu lieu dans un autre établissement, « quelle que soit sa nature et son activité fait l’objet », sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, la garantie est exclue. Ainsi, en appliquant la clause à la lettre, si un meurtre a lieu dans un fast-food à Marseille et qu’une fermeture de l’établissement est décidée, ce dernier ne peut être indemnisé si par ailleurs, un restaurant étoilé à Arles a été fermé en raison d’un autre meurtre ! Présentée ainsi la clause paraît délirante …
En replaçant cette fois-ci la clause dans un contexte épidémique, on ne pourra que s’interroger sur l’utilité d’une telle garantie : une épidémie ne reste pas localisée dans un seul établissement.
Une autre clause garantie pertes d’exploitation a particulièrement attiré l’attention des avocats de notre cabinet. Dans l’un de ses contrats d’assurance, le Crédit Mutuel indique garantir « les pertes pécuniaires que vous pouvez subir du fait de l’interruption ou de la réduction de votre activité résultant soit (...) -d’une mesure d’interdiction d’accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d’un événement extérieur à votre activité et aux locaux dans lesquels vous l’exercez (...). ».
Par ailleurs, cette garantie perte d’exploitation est, semble t-il, indépendante de tout sinistre matériel. En effet, on note que la garantie pertes d’exploitation est présentée ainsi : « Si à la suite d’un sinistre* [le contrat définit le sinistre comme « la survenance de l’évènement susceptible de mettre en œuvre la garantie du contrat. »] garanti atteignant vos biens, les montants de garantie souscrits se révèlent insuffisants et entraînent une aggravation des pertes d’exploitation subies, la présente garantie sera alors limitée à la somme qui aurait été due si ces montants avaient été suffisants. ». La notion de « bien » au sens du contrat englobe davantage les biens « choses », c’est à dire les locaux professionnels et le contenu à usage professionnel. On en déduit de cette précision que la "présente garantie" n'est pas limitée si elle n'est pas consécutive à un sinistre atteignant les biens.
D’aucuns ont remarqué qu’une clause d’exclusion indiquait : « sont toujours exclus [...] les dommages causés par les insectes, rongeurs, champignons, moisissures et autres parasites, ainsi que par les micro-organismes ». Or, la qualification de virus en tant que « micro-organisme » est sujette à controverse (J. GRANDIN DE L'EPREVIER, « Pertes dʼexploitation : les ambiguïtés des contrats dʼassurance qui peuvent jouer en faveur des restaurateurs et hôteliers », L’Opinion, 25/05/2020), et que, au regard des autres exemples cités, l’exclusion de garantie semblait toucher davantage au domaine du dommage matériel …
On constatera donc que la clause d’exclusion de garantie est tout de même bien moins sibylline que celle d’AXA.
Notons toutefois, qu’à l’instar d’une autre société coopérative (Crédit Agricole), le Crédit Mutuel a annoncé qu’il apporterait son soutien aux adhérents. En présence d’une telle clause, les assurés devront toutefois veiller à ne pas accepter trop rapidement une indemnité forfaitaire largement en dessous de celle qui leur serait hypothétiquement due en appliquant les clauses du contrat.
Le droit positif propose quelques pistes de réflexions pour anéantir une telle clause d’exclusion.
Pour le droit spécial, nous invoquerons principalement l’article L. 113-1, alinéa 1er du Code des assurances nous enseigne que « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. ». Une jurisprudence s'est développée autour du formalisme de la clause d'exclusion. Ces clauses doivent permettre à l'assuré de connaître avec précision l'étendue de la garantie. Si ce formalisme n'est pas respecté, l'exclusion n'est pas valable. Ainsi, selon la Cour de cassation, au sens de l'art. L. 113-1 du Code des assurances, une clause d'exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu'elle doit être interprétée (voy. par exemple : Cass. civ. 1ère, 22 mai 2001, n°99-10.849 ; Bull. civ. I, n° 140, p. 92 ; Cass. civ. 3ème, 27 oct. 2016, n°15-23.841 ; Bull. civ. III, n°140, p. 146).
On peut encore invoquer le nouveau droit commun des contrats matérialisé par l’article 1170 du Code civil en vertu duquel « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. », applicable aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016. Pour les contrats conclus avant cette date, l’ancienne jurisprudence tirée de la défunte notion de cause a vocation à s’appliquer (voy. pour une synthèse de cette jurisprudence, G. CHANTEPIE, M. LATINA, Le nouveau droit des obligations, Dalloz, 2èmeéd. 2018, p. 380 et s.).
Les clauses d’exclusion étudiées pourraient ainsi passer sous les fourches caudines de la disposition nouvelle, ou de la jurisprudence ancienne.
Que reste-t-il donc aux assurés qui ne sont pas couverts pour le risque de pertes d’exploitation résultant d’une fermeture administrative non consécutive à un dommage matériel ou à ceux qui sont couverts mais auxquels on oppose une exclusion de garantie formelle et limitée ?
En premier lieu, il leur reste une voie amiable, plusieurs compagnies d’assurance ont annoncé qu’elles accorderaient des gestes commerciaux à leurs assurés.
En second lieu, reste la voie contentieuse, plus aléatoire à notre sens. Le contentieux en question se nouerait autours du devoir de conseil de l’assureur et de ses intermédiaires. La difficulté principale résiderait dans la réparation du demandeur, celle-ci résulterait en effet en une perte d’une chance de souscrire la garantie. Encore faut-il donc démontrer qu’après avoir été informé, il aurait contracté et aurait eu des chances d’obtenir cette garantie…
Consultez notre article sur les conditions d'indemnisation par l'assureur de la garantie perte d'exploitation.
Pour toute demande d’information complémentaire, n’hésitez pas à contacter notre cabinet d’avocats en droit des affaires à Marseille au 0484254091 et à consulter la vidéo sur Youtube de Maître Julien AYOUN, Avocat, sur la garantie pertes d'exploitation de votre contrat d'assurance.
Consulter nos articles pour connaître les premières décisions rendues contre les compagnies d'assurance et notamment les condamnations contre la compagnie d'assurance AXA.